• La jolie rousse

    Très beau poème d'Apollinaire lu par Carole Bouquet aux obsèques de Stéphane Hessel



    Me voici devant tous un homme plein de sens

    Connaissant la vie et de la mort ce qu’un vivant peut connaître 
    Ayant éprouvé les douleurs et les joies de l’amour 
    Ayant su quelquefois imposer ses idées 
    Connaissant plusieurs langages 
    Ayant pas mal voyagé 
    Ayant vu la guerre dans l’Artillerie et l’Infanterie 
    Blessé à la tête trépané sous le chloroforme 
    Ayant perdu ses meilleurs amis dans l’effroyable lutte 
    Je sais d’ancien et de nouveau autant qu’un homme seul pourrait des deux savoir 
    Et sans m’inquiéter aujourd’hui de cette guerre 
    Entre nous et pour nous mes amis 
    Je juge cette longue querelle de la tradition et de l’invention 
    De l’Ordre et de l’Aventure 

    Vous dont la bouche est faite à l’image de celle de Dieu 
    Bouche qui est l’ordre même 
    Soyez indulgents quand vous nous comparez 
    À ceux qui furent la perfection de l’ordre 
    Nous qui quêtons partout l’aventure 

    Nous ne sommes pas vos ennemis 
    Nous voulons vous donner de vastes et d’étranges domaines 
    Où le mystère en fleurs s’offre à qui veut le cueillir 
    Il y a là des feux nouveaux des couleurs jamais vues 
    Mille phantasmes impondérables 
    Auxquels il faut donner de la réalité 

    Nous voulons explorer la bonté contrée énorme où tout se tait 
    Il y a aussi le temps qu’on peut chasser ou faire revenir 
    Pitié pour nous qui combattons toujours aux frontières 
    De l’illimité et de l’avenir 
    Pitié pour nos erreurs pitié pour nos péchés 

    Voici que vient l’été la saison violente 
    Et ma jeunesse est morte ainsi que le printemps 
    Ô Soleil c’est le temps de la Raison ardente 
    Et j’attends 
    Pour la suivre toujours la forme noble et douce 
    Qu’elle prend afin que je l’aime seulement 
    Elle vient et m’attire ainsi qu’un fer l’aimant 
    Elle a l’aspect charmant 
    D’une adorable rousse 

    Ses cheveux sont d’or on dirait 
    Un bel éclair qui durerait 
    Ou ces flammes qui se pavanent 
    Dans les roses-thé qui se fanent 

    Mais riez riez de moi 
    Hommes de partout surtout gens d’ici 
    Car il y a tant de choses que je n’ose vous dire 
    Tant de choses que vous ne me laisseriez pas dire 
    Ayez pitié de moi

     

     Guillaume Apollinaire (1880-1918)

    Poème lu par Carole Bouquet aux funérailles de Stéphane Hessel

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